
Le Plan de Redressement Économique et Social (PRES) « Jubbanti Koom », exposé par le Premier ministre le 1ᵉʳ août 2025, incarne une tentative de recentrage stratégique en réponse à une crise multidimensionnelle. Ressemblant plus à un plan financier, il est construit autour de la mobilisation endogène des ressources, du recyclage des actifs publics et d’un contrôle renforcé des dépenses, le plan traduit une volonté de rupture avec l’orthodoxie financière exogène. Pourtant, cette posture s’inscrit dans un contexte marqué par une saturation politique, une fatigue sociale palpable et une contraction sévère des marges budgétaires. La figure du Premier ministre, hier symbole d’audace politique, apparaît aujourd’hui contraint et essoufflé, en quête de solutions viables dans un environnement où les leviers classiques ont perdu leur efficacité.
La dette publique réelle du Sénégal, récemment réévaluée à près de 119 % du PIB, révèle une situation de solvabilité dégradée. Le service de la dette qui représente désormais environ 80 % des recettes fiscales réduit drastiquement la capacité de l’État à investir, à redistribuer ou à amortir les chocs sociaux. Cette dynamique asphyxie les politiques publiques et accentue les tensions entre urgence budgétaire et objectifs de transformation structurelle. Le gel du financement du FMI, la dégradation de la note souveraine par les agences internationales et la suspension d’émissions obligataires traduisent un isolement financier préoccupant.
Le PRES affirme vouloir sortir de cette spirale par des mécanismes alternatifs : fiscalité domestique renforcée, lutte contre les niches de fraude, réforme du train de vie de l’État, revalorisation des actifs publics. Mais ces propositions posent trois limites critiques. D’abord, la structure fiscale sénégalaise demeure régressive, avec une pression effective estimée à 19–20 % du PIB contre un potentiel soutenable situé entre 24 et 25 %. Ensuite, l’économie informelle, qui concentre plus de 90 % de l’emploi des jeunes, échappe encore largement à la base imposable. Enfin, les capacités de contrôle et de déploiement de la réforme fiscale restent fragmentées et institutionnellement sous-dimensionnées.
La philosophie du PRES repose sur une logique de souveraineté budgétaire. Elle s’inspire des doctrines de développement autocentré, qui valorisent la mobilisation des ressources internes. Toutefois, l’économie politique du Sénégal s’inscrit dans une double contrainte : faible élasticité fiscale et dépendance structurelle aux appuis extérieurs. L’ajustement par les seules ressources internes, dans un contexte de désaffection sociale et de déséquilibres macroéconomiques, risque de provoquer un effet d’auto-étouffement budgétaire. Le modèle soutenu appelle une réforme en profondeur de la gouvernance fiscale, une révision du pacte productif national et un réalignement stratégique de l’investissement public vers les secteurs à fort rendement social.
Le recyclage des actifs publics, présenté comme levier innovant, soulève également des interrogations. L’État ambitionne de mobiliser 1 091 milliards FCFA par cessions temporaires ou réaffectations. Toutefois, en l’absence d’un cadre de gouvernance robuste, ces transferts peuvent entraîner une perte de contrôle stratégique sur des secteurs clés. L’analyse des précédents dans d’autres pays africains montre que le recyclage d’actifs ne génère des effets multiplicateurs durables que s’il s’accompagne d’un encadrement contractuel rigoureux, d’une transparence de l’affectation des fonds et d’un suivi citoyen renforcé.
Le plan affiche des priorités sociales ambitieuses : transferts monétaires aux ménages vulnérables, augmentation des allocations familiales, accès gratuit à certains services de base. Mais ces mesures relèvent davantage d’un agenda compensatoire que d’une dynamique de transformation. Les transferts ciblés, sans investissement massif dans les systèmes productifs ruraux, les infrastructures logistiques ou l’industrialisation, risquent de maintenir les bénéficiaires dans une situation d’assistance. Le défi est de concilier la justice sociale immédiate avec une stratégie de productivité inclusive.
L’administration publique constitue un autre nœud critique du PRES. La maîtrise du train de vie de l’État est annoncée, mais les marges réelles de compression restent faibles en raison de la rigidité des dépenses de personnel et des engagements déjà contractés. La réforme des entreprises publiques, souvent évoquée, nécessite un arbitrage politique fort entre logique économique et clientélisme institutionnalisé. Le manque de données ouvertes sur la soutenabilité financière des entités parapubliques freine toute évaluation rigoureuse de leur réforme.
La dynamique d’exécution du PRES se heurte à une réalité institutionnelle complexe. Le pays souffre d’une instabilité récurrente des outils de pilotage stratégique. Le cycle d’élaboration des plans sans dispositif opérationnel, ni instruments de redevabilité, reproduit un schéma d’érosion progressive de la confiance. La fatigue des plans, symptôme de ce régime comme de ceux qui l’ont précédé, illustre la difficulté à dépasser la logique de communication pour incarner un véritable leadership de transformation. Depuis avril 2024, le nouveau pouvoir a multiplié les stratégies sans démonstration concrète de rupture effective dans les pratiques d’allocation des ressources et de coordination interinstitutionnelle.
La rhétorique de souveraineté économique repose sur des fondements légitimes, mais sa mise en œuvre exige une ingénierie de politique publique plus sophistiquée. Les réformes fiscales requièrent un consensus social, des systèmes d’information performants et une articulation fine entre administration centrale, collectivités et secteur privé. Le PRES, dans sa phase actuelle, ne clarifie pas suffisamment la hiérarchisation des mesures, ni leur enchaînement logique, condition pourtant indispensable à la crédibilité de tout programme de redressement.
Une politique de transformation économique suppose aussi une diplomatie financière active. Le rejet de l’endettement externe ne peut se faire sans construire des instruments alternatifs de financement, notamment par la mobilisation de la diaspora, l’émission d’obligations vertes, ou la structuration de partenariats public-privé rigoureux. En niant cette dimension, le PRES court le risque d’un isolement stratégique et d’un renchérissement du coût d’opportunité pour l’économie sénégalaise.
Sur le plan doctrinal, le PRES reste encore hybride. Il oscille entre planification étatique, injonctions morales et signaux libéraux. Ce flou doctrinal traduit une tension entre radicalité politique et réalisme technocratique. La crédibilité du gouvernement dépendra de sa capacité à stabiliser cette tension, à articuler une ligne économique lisible, et à mobiliser les compétences de l’administration publique dans une logique de résultats vérifiables.
Le pilotage stratégique du PRES appelle également une meilleure intégration verticale. Les collectivités territoriales demeurent des acteurs marginaux dans le plan, alors qu’elles constituent le maillon essentiel de la réallocation des ressources, de l’innovation sociale et de l’animation économique locale. Une logique de déconcentration budgétaire sans capacitation locale renforcerait les déséquilibres existants.
Le PRES apparaît ainsi comme une réponse politique volontaire à une crise de confiance et à une impasse budgétaire. Mais sans renforcement des capacités institutionnelles, sans clarification des priorités économiques, et sans ingénierie de mise en œuvre rigoureuse, il risque de devenir un plan de plus dans la longue série des tentatives de redressement manquées. Ce n’est pas la radicalité du discours qui assurera la transformation du pays, mais la discipline de l’action, la robustesse des institutions et la transparence des résultats.
Dr Abdourahmane Ba
Statisticien, Docteur en Management
Expert en Développement International, Suivi et évaluation, Management, évaluation des politiques publiques







